Chapitre un

Les prémisses

Salut papa!

Voilà. Je me suis tenue à carreau, comme prévu, le temps d'avoir mes 18 ans. Ensuite, avec les trucs que j'avais foutus de côté, je me suis montée une cabane. C'est nul, mais mieux que dehors.

C'est à ça que ça ressemble. Ah, ouais, c'est aussi à ça que je ressemble! J'ai claqué mes dernières thunes pour m'acheter des fringues pas trop dégueu. Sinon, la suite ira pas!

Claro, l'intérieur est à chier.  Je peux pas faire mieux pour l'instant, même si ça craint un max. Le paddock grince, t'as pas idée!

La grosse news, c'est que j'ai un job. Chez Plenozas Industries. Ok, je suis grouillotte, à peine bonne à faire du kawa pour ces M'ssieurs-dames, mais un taf honnête. Comment j'ai fait? Devine...   Je sais pas si tu savais, mais avec un pauvre sourire, une greluche qui fait du 95d comme moi, ça fait envie. Et les fringues, je les avais pas prises au hasard: plus près du cul que ma jupe, je crois pas qu'ils avaient en stock!

Sinon, quand je peux, je traine à la bibliothèque. Parce que si je veux grimper les échelons, j'ai intérêt de parler autrement. Et de savoir que là d'où venait le père de papy, c'est l'Italie, pas la Ritalie, et que c'est pas un des Etats d'Amérique... Putain, je savais même pas combien il y en avait!

Alors je bouquine. Quand je peux, parce que c'est pas avec ce que je gagne que je vais m'en sortir, et encore moins les niquer. T'inquiète pas, d'ici à ce que je sois une intello, les keufs auront découvert le feu!

Ah oui, je cueille des pommes, aussi. Celles là, c'est les meilleures: des gratos! Et comme elles sont en ville, tout le monde me mate les piquer, et je les entend marmonner des trucs pas cools sur les salauds de SDF qui leur piquent leurs fruits... Alors que si je les prend pas, ils pourrissent sur l'arbre. Va comprendre...

Et je ramène le journal du boulot, le soir. Comme ça, je peux tirer les bons de réduc'. Et savoir ce qui se passe, aussi. Parce qu'avoir l'air d'une conne au chaf, parce que je sais pas que le président Machin s'envoie madame Truc ou se frite avec un autre, ça me gonflait sévère. 

Bref, je me démerde pas trop mal.

T'M. Gina.

Salut, vieux!

Je suis toujours d'attaque. Et toi? En vrai, je me monte mon business. Calmos! C'est légal. Je te l'ai dit, plus d'arnaques pour nous. Toi, tu as déjà assez donné, et moi, j'ai autre chose à foutre de ma vie que la passer au chtar.

En fait, je me suis arrangée avec le fils Grady, et il passe un coup de fil quand il y a des trucs sympas mais total broken qui arrivent à la casse. Tu veux revoir sa chetron? La voilà.

Pas mal, hein, le bestiau... Comment ça se fait que j'avais sa photo sur moi? 

A ton avis? Tu crois qu'on tchatche seulement du cours du kilo de cuivre? Tu me prends pour une bonne soeur ou quoi? Bon, je te fais pas de dessins, je crois que tu vois de quoi je cause. Et non, là, je mets pas de photos. Un, je suis ta fille, deux, je fais pas dans le X.

L'autre bout de la chaîne, c'est le dépôt-vente.  Lui, par contre, c'est un vrai connard. Comme c'est un vague cousin des Plenozas, il se prend pas pour une merde. Mais je fais super bien la pôv' fille, tu trouves pas? Par contre, pour le reste, lui, c'est niet.  Et si il essaie, je te lui foutrai une mandale, il s'en souviendra.

Bref , je me récupère toutes les merdes que les gonzes balancent.

Vraiment toutes. Plus il y a d'électricité dedans, mieux c'est. Fallait bien que toutes les années à débordéliser le terrain m'aient servi à quelque chose, non? Je te le dit: l'Impératrice du tournevis-testeur, la Déesse du fer à souder, c'est moi.

Bon, c'est vrai que ça me prend un temps pas poss', que je finis les doigts coupés de partout, mais ça marche. 

Schouf! Si on dirait pas qu'il est neuf, le lave-vaisselle, là?  T'inquiète pas pour le berceau qui est dans le coin, c'est pas pour moi! Tu es vieux, d'accord, mais pas encore assez pour être grand-père! Ok, ok, j'arrête de te charrier.

Au bout du compte, je retape tout. Et je le refourgue au dépôt-vente. Et comme j'ai même des factures d'achat de la casse, personne me fait chier à croire que c'est du tosma tombé du camion. 

Ce qui est pas cool, c'est que j'ai toujours pas de douche. Parce qu'il faut que je refasse des branchements dans les vieux sous-sols de l'usine. Pour les chiottes, ça va, mais c'est pas de la flotte que je mettrais sur ma peau, encore moins dans un verre.  Comment je fais?  Je vais au gymnase. Je fais pas de sport, mais je me lave.

Bon, des fois, je me sers un peu dans le frigo des membres, aussi.  Enfin, c'est pas comme ça tous les jours, non plus. Il y a aussi des matins douche-café-clope, pépère. Je t'ai déjà parlé du fils Grady, je crois, non?

Ah non, là, tu beugles trop. Je te laisse.

T'M toujours, mon papa à moi. Gina.

Salut daron!

Ca faisait une paye que je t'avais pas appelé comme ça. Ca me manquait. Bon, tu as fini par te calmer? J'espère que tu t'es pas mangé du dur à cause de mes conneries, quand même. Si oui, désolée, papa. 

Hier, je me suis réparée une télé.  La belle affaire! Non, en fait, c'est surtout que c'était la télé de ma chef de service. Elle m'avait vu déposé des trucs chez Plenozas, et m'a demandé si c'était moi qui les bricolait. Comme c'était oui, elle m'a refilé sa TV qui avait un blème.

Je lui ai ramenée le lendemain soir. On peut pas parler d'un accueil chaleureux. Je crois qu'elle pensait que j'allais la lui refiler au boulot, pas chez elle, et qu'elle se demandait ce que les voisins, SES voisins,  allaient penser de la voir parler à la fille manouche.

Par contre, après, ça a été plus cool: non seulement je lui avait réparé sa bouse, mais en plus je l'avais améliorée, en changeant la platine de réception. Et comme c'est une vraie camée de la télé, je te cause pas de la joie! Bref, elle en avait plus rien à foutre qu'on la voit avec la "meilleure réparatrice de TV de Sunset Valley", quand je me suis barrée.

C'est space, mais j'ai été promue, aujourd'hui. Je suis super-grouillotte. Rien à voir avec la télé de ma chef, hein. Juste la chance... Et mon travail... Et quoi encore? Elle me prend vraiment pour une truffe, l'autre? Comme si je savais pas que c'était du donnant-donnant, leur business!  Parce qu'ils croient que c'est comment, dans la rue? Putain, mais quelle bande de bisounours! Toujours est-il que j'ai racheté des planches, agrandi, gardé un frigo et une cuisinière pour moi, et que je suis une employée modèle. Tu trouves pas?

Sauf certains soirs.  Quand je fouille les poubelles de certains immeubles. En loucedé.

Et tu sais quoi, papa? Quand on cherche bien, dans la merde, on trouve de l'or. Pas seulement en trucs à retaper. En papiers, aussi... Tu vois le topo... Non?

Je t'expliquerai la prochaine fois. Faut que j'aille voir un pote, là. Un journaleux.

T'M. Gina.